mercredi 18 janvier 2012

illuminée de la farine


Suite au dernier article paru sur le site Painrisien, ainsi que sur les passions déchaînées qu'il a suscité, (http://painrisien.com/que-se-passe-t-il-chez-du-pain-et-des-idees/#comments), mille
et une chose me passent par la tête…

Tâcher de les consigner sans m'attirer de foudres boulangères ne va pas être si aisé je crois…

Déjà :
je pense qu'il n'est pas nécessaire effectivement d'endosser un tablier pour critiquer et apprécier le pain. De ce côté je ne critique pas Rémi qui a le mérite d'offrir sur son site un panel de plus en plus large des boulangeries parisiennes.

Bon.
Maintenant, la critique est trop facile sur son site. Et il me semble que c'est un état d'esprit très français, et très parisien, que d'avoir besoin de dénigrer. Je pense simplement au système éducatif français, qui passe par les classes préparatoires et le démontage massif de la confiance des étudiants, alors que les universités anglo-saxonnes pulllulent de gens médiocres à qui on ne cesse de répéter "what you say is really interesting", à l'excès sans doute. En contrepartie, dans les facs françaises, les étudiants ne participent jamais au moindre débat, entrent et sortent au milieu du cours, et dans les universités anglaises, il y a échange, communication, partage.

Mais je m'éloigne du sujet. Mon côté vieille traumatisée de la khâgne qui ressort ... :)

la surmédiatisation de M. Vasseur m'agace, comme beaucoup.
Mais je dois reconnaître une chose, c'est que dans le fond, je n'ai jamais goûté son pain. Ce qui m'agace, c'est que M. Ducasse se fournisse chez lui alors que jamais il n'a été voir les boulangers du Plaza pour leur proposer de modifier leurs recettes, que ceux-ci continuent à produire des petits pains hydratés à 60% sans saveur, et qu'ils ne demandent qu'à changer leur gamme et à évoluer positivement. La boulangerie du Plaza se devrait de ressembler à la pâtisserie du palace, mais elle est bridée. Sans raison.

Je suis en outre probablement agacée d'avoir été rejetée de Du Pain et des Idées lorsque j'avais postulé pour une place en 1ère année de BP. Je pense que j'aurais appris beaucoup chez lui car il aime son métier, mais j'ai tout autant appris avec mon cher collègue Simon au Quartier du Pain, et j'aurais pu apprendre tout autant chez d'autres boulangers. Là où il n'a pas tort, c'est
que la profession souffre et manque de personnes ayant l'intelligence de la pâte.

En revanche, il EXISTE des boulangers qui ont cette intelligence. Il existe du bon pain, à Paris, à Nantes, à Aix en Provence, et sans doute ailleurs encore. Et le challenge se relève de jour en jour car la boulangerie évolue positivement.
Oui, le jambon beurre n'est pas une création, et je ne vais pas me lancer dans le procès d'un homme, car ce que j'ignore, c'est quelle personne je serai si un jour le succès me sourit à moi aussi. Moi qui suis déjà très fière quand, à la fin de l'organisation d'une nuit de travail en direct, le pain est beau sur des pâtes que j'ai lancées, façonnées, et emmenées au four,
serai-je alors capable d'humilité ?

La leçon est difficile. Il est difficile de savoir être humble quand on a envie d'être reconnu. Moi j'ai envie d'être reconnue. Je n'ai pas honte de le dire. J'ai galéré, et j'ai envie de montrer que j'y arrive.
Ce qu'il faut maintenant, comme me disait Benoit - le fromager, c'est savoir être heureux plutôt que fier. Car heureux c'est pour soi, et fier c'est par rapport aux autres.
Ce qu'il faut, et Jean Philippe de Tonnac le dit bien, c'est arrêter de cracher sur l'enseigne de son voisin. Nous manquons de bienveillance dans ce métier. Et si nous l'étions, nous serions naturellement plus humbles, sans doute.

Il me faut apprendre l'humilité, moi aussi. C'est une leçon que nous devons tous apprendre au quotidien. Rien n'est jamais acquis. Et si mon pain est beau aujourd'hui, qu'en sera-t-il demain ?
Le pain est un pari qui recommence chaque jour. Il faut avoir la patience de parier à nouveau, et ne pas craindre de reprendre à zéro à chaquer lancer de pétrin.

Je me suis éloignée de tout ce que je voulais évoquer au début. Ce n'est pas grave. Je n'ai de rancune envers personne, ce n'est pas la peine d'écrire un billet déchainé.

Je dis juste que si les boulangers écoutaient davantage Vivaldi, le pain serait plus souple. Et la critique moins acerbe.
Eh bien me voilà illuminée ! Tant mieux ! Les pâtes de ce soir seront pleines de bonne énergie alors !

vendredi 13 janvier 2012



"mais faire du pain, c'est tellement beau que ça ne doit même pas être un travail"

...

que répondre à cette phrase ?

faire du pain, c'est mon travail. et puis c'est un peu plus aussi, j'ai de la "farine en intraveineuse" comme dit Benoit -le fromager. J'ai besoin d'avoir fait un beau pain pour passer une bonne journée, et quand je le rate, je fulmine et rumine jusqu'à ce que le lendemain, de belles œuvres sortent du four. Alors le pain, c'est aussi un peu ma monomanie, ma maladie,

...ma passion.

Aujourd'hui, j'ai l'impression que c'est le grand problème social en France : conjuguer sa passion, ou du moins son intérêt profond, et son travail. Comme si de longues années durant on avait pris sur soi de faire un métier qui ne servait qu'à couvrir nos besoins alimentaires, et que peu à peu on se réveillait, on se donnait une grande claque de vie en réalisant que 47 semaines par an, c'était idiot de s'ennuyer de 9h à 18h.
Et je rencontre de plus en plus de personnes qui bifurquent et qui ont besoin de tâter la vie, des ingénieurs agacés, des commerciaux qui veulent faire du pain, des gâteaux, du fromage, du chant, ... et ils se lancent.
Comme si toute une frange de la population se disait que la quête des augmentations de salaire n'était pas toujours l'ultime but de l'existence - à condition de vivre correctement s'entend : j'aime tout de même savoir que je peux m'acheter une jolie robe quand je la vois dans la vitrine !

y a-t-il une fuite des métiers du tertiaire ?

quoiqu'il en soit, aimer son métier ne signifie pas que la route est toujours aisée. On a beau choisir ce que l'on fait, sortir du lit à 2h15, ce n'est pas facile, ... mais c'est un prix que je paye avec joie quand je sais que je peux travailler en bonne entente avec une équipe intelligente et joyeuse. Quand je sais que je peux écouter Grappelli ou Chopin pendant que je façonne, en récitant de temps à autres quelques vers ou en parsemant des pâtons d'aromates différents chaque jour….

mercredi 11 janvier 2012

Du pain et des femmes



Quelle belle photo que ces femmes de 1916 qui tiennent le fournil de leurs hommes partis au front...

Quelle élégance, quelle allure, quelle prestance !

... qui nous relance l'éternel débat des femmes au fournil...

Cette photo, je l'ai trouvée sur l'excellent groupe facebook Universal Bread, une caverne d'ali baba de photographies, tableaux, extraits littéraires sur le pain.
La jolie face du pain.
Celle dont on aime parler de retour du travail, lorsqu'il est temps d'oublier que toute la nuit on a sué. Cet aspect du pain que j'évoque depuis bientôt 4 ans sur ce blog, en cachant souvent les heures infinies d'humiliation et de découragement, de solitude et de larmes.

Au Liban, ce sont les femmes qui font le pain.
Dans beaucoup d'autres pays d'ailleurs.
Ma collègue Mélanie vient d'une boulangerie en Suède où seules des femmes travaillaient, la Rome antique voyait également les fournées se conjuguer au féminin.

Oui.

Je dirais oui, mais.

Je pense que les femmes ne sont pas à repousser des fournils.
Elles ont une sensibilité bien différente de celles des hommes pour suivre les évolutions des pâtes, leur histoire, leurs secrets.
Les pâtes nous chuchotent si l'on veut bien les écouter - ce n'est pas une histoire de sexe.

Des hommes arrivent très bien à les comprendre (peu d'élus, toutefois...!), des femmes sont rustres et n'entendront jamais ce fin murmure.
ce que je comprends du pain aujourd'hui ne vient pas de ma condition de femme, je crois.

cela vient de mon histoire, de ma formation, des mes divers maîtres d'apprentissage (éternelle reconnaissance à
Simon et Didier...)

La plupart de mes collègues n'ont jamais su m'accepter, mais je crois que la raison était double : je n'étais pas seulement une femme, j'étais / je suis, une femme qui s'est offert le luxe de
la réorientation, et qui a passé un BP. Or la formation effraye les boulangers, persuadés qu'ils comprennent tout s'ils savent sortir une baguette. j'arrive dans un fournil, je fais 1,55m, et je questionne TOUT. Alors oui, je les agace, les boulangers, surtout quand ils ne savent pas me répondre ! mais je pourrais être un mec, ça les agacerait tout autant !

Quoiqu'il en soit, ce qui a facilité l'arrivée des femmes au fournil - la mécanisation des pétrins, surtout, est aussi ce qui à mes yeux nous en tient encore éloignées : quand une machine couine, je deviens nulle. Incapable de réparer une diviseuse, une façonneuse, incapable de balader 2 sacs de farine d'un endroit à l'autre du labo, de comprendre les frigos, l'origine des fuites, les refroidisseurs, les balances, incapable de tout démonter et de tout remonter, et de toute façon, ça
m'intéresse peu.

Alors je persiste à dire que ce n'est pas forcément la féminité qui manque en boulangerie. Car pour toutes les tâches un peu musclées, un bon gars, y a pas à dire, c'est indispensable; non, ce qui manque, c'est la sensibilité.


Monsieur le Farinoman, tout homme qu'il est, a la sensibilité qui permet au pain d'arriver au four au bon moment, après avoir été travaillé dans le respect.

Et Mademoiselle Farinowoman que je suis, violente parfois la pâte - sans le vouloir, en manquant de finesse.

Ce qu'il nous faut, c'est de l'intelligence sensible, dans ce métier.

Oui, que ce soit des hommes ou des femmes, qu'importe, je réclame de l'intelligence sensible.

Elle seule capable de s'adapter chaque nuit au caractère secret des pâtes, chaque nuit nouvelles, chaque nuit caractérielles, chaque nuit rebelles et insoumises.